La Princesse Barouline

...et son orgue de Barbarie

Les absinthes (Gaston Couté)

Attends-moi ce soir, m'as-tu dit, maîtresse ;
Et, tout à l'espoir d'avoir ta caresse,
Je me suis assis au banc d'un café ;
Mes yeux inquiets vont de la terrasse
Au clair va-et-vient des femmes qui passent,
Croyant chaque fois te voir arriver.

Tout en t'attendant j'ai pris une absinthe.
L'heure où tu devais venir, l'heure tinte
Tu n'es pas là. Mon verre est vide... Une autre absinthe !

L'eau tombe en mon verre à très lentes gouttes
Et mon cœur où tel vient tomber le doute
Pose des questions tout seul et tout bas ;
Gardant comme un leurre un brin d'espérance
Tandis que le soir s'engrisaille, il pense
Au deuil de ma nuit si tu ne viens pas.

Tout en t'attendant, j'ai pris deux absinthes.
Ton heure est passée, une autre tinte
Et rien encor ! Mon verre est vide... Une autre absinthe !

Non, décidément ! Assez de t'attendre !
Tu ne viendras pas, car je crois comprendre
Ce que je saurai peut-être demain ;
En partant me voir, d'autres t'ont suivie.
Tu m'as oublié puisque c'est la vie
Et t'es arrêtée à moitié chemin.

Tout en t'attendant j'ai pris trois absinthes,
Et compté trois fois les heures qui tintent.
C'est bien fini ! Mon verre est vide.... Une autre absinthe !

Je veux me saouler à rouler par terre.
Comme un vrai cochon. Quant à toi, ma chère,
Si quelque regret te ramène ici,
Et que tu me voies sous les pieds des tables,
Ne t'arrête pas et va-t'en au diable !...
J'ai le cœur trop sale en ce moment-ci.

Je ne t'attends plus et prends des absinthes
Sans me soucier des heures qui tintent...
Holà ! Garçon ! Mon verre est vide... Une autre absinthe !